At Mẓab,
Une Société Amazighe d’Algérie
A l’Epreuve des Temps
Parte 2
Par Hammou DABOUZ
Rappels historiques
En abordant l’histoire des At Mẓab, force est de constater qu’on ne peut que l’intégrer comme une partie de Tamazgha (Afrique du Nord). Comprendre le Mzab d’aujourd’hui, c’est aussi reprendre la voie d’une histoire riche d’événements et de leçons.
A l’ancienne population amazighe proto-tumẓabt qui existe dans le Mzab depuis des temps immémoriaux, s’étaient agglutinées des familles amazighes qui avaient trouvées dans cette région meilleur refuge pendant les invasions notamment romaines ; ces populations y avaient édifié des iγerman (cités) pré-islamiques. Après l'avènement de l'Islam, et au 7ème siècle de l’ère chrétienne, la population amazighe de cette région a adopté la nouvelle religion. Il y a tout un nombre de vestiges ruines témoignant tout particulièrement que bien des établissements amazighes pré-ibadhites y existent, tels que Talezḍit, Awlawal, Tmazert, Bukyaw… Cette population amazighe, disons semi-nomades, vivaient principalement d’élevage et d’agriculture saisonnière. Et c’est à partir du onzième siècle que le monde du Mzab a connu un grand passage historique ainsi qu’un véritable épanouissement marqué par le rite ibadhite qui a été adopté par l’ensemble des At Mẓab depuis plus de 10ème siècle. Ce changement de mode de pensée et un nouvel apport démographique amazighe ont poussé la société d’At Mẓab à naître telle qu’elle est connue de nos jours. A partir de cette époque, cinq iγerman ont été édifiés sur des pitons rocheux, il s’agit de Ghardaïa (Taγerdayt, en langue amazighe), Mélika (At-Mlicet) Bounoura (At-Bunur), Al-Atteuf (Tajnint) et Beni-Isguen (At-Izğen). Deux autres cités, Berriane (Bergan) et Guerrara (Zegrara) font partie aussi de la région des At Mẓab, mais qui se situent en dehors de la vallée du Mzab ; la première à 45 km au nord, la seconde à 110 km au nord-est.
Une des cités du Mzab vers la fin du dix-neuvième siècle
Vie sociale
Les cités du Mzab sont organisées en une structure lignagère : le lignage ou Taddart selon la taxinomie locale est un groupe de descendants dont les membres revendiquent un ancêtre commun. La descendance se trace à travers les hommes, et l’on est, contrairement à la société des Imuhaq (Touarègues), dans le cas d'une société patrilinéaire. Le Suff (alliance politique entre fractions) est constitué de plusieurs lignages que chacun joue entre autres le rôle de solidarité et d’alliance ; c'est une sorte d'alliance qui n'a pas d'existence institutionnelle, qui peut d'un moment à l'autre changer de configuration. Le choix de quitter ou de demeurer au sein d’un Suff revient ou lignage. Ce choix se fait en fonction des intérêts de conjoncture. On se définit par rapport à une telle ou telle famille et on appartient à un tel ou tel lignage. Chaque cité regroupe des tribus qui, elles, constituent des Suffs. La tribu se structure dans une organisation pyramidale complexe à trois niveaux. Au premier niveau viennent les fractions (tiâcirin), regroupant chacune, sur une base généalogique, un ensemble de Tiddar (familles élargies portant le même nom d’état civil et supposées descendre d’un ancêtre éponyme). La fraction est une unité administrative de base gérée par une assemblée représentative. Elle dispose des biens communs notamment un siège où elle tient les assemblées générales et organise les noces. Au deuxième niveau, un ensemble de fractions forme la tribu, qui n’est généralement pas le fait d’une descendance généalogique, mais plutôt d’une alliance politique permanente entre des fractions et clans. On arrive, au troisième niveau, à l’alliance des tribus sous l’égide des Iâezzaben (religieux ibadhites). C’est pour cela qu’E.MASQUERAY observa que l’aγerm dans le Mzab est une cité de deuxième degré qui, en étant une structure trilitère, représente des ressemblances frappantes avec l’ancienne cité grecque.
Aujourd'hui, le sentiment d'appartenir au Suff a disparu auprès des nouvelles générations. Les mutations que connaît la région ont eu un impact considérable sur les mœurs et les comportements. On assiste à l'émergence de nouvelles formes de conscience individuelle ; et des attitudes propres aux sociétés de type différencié prennent de plus en plus d'ampleur.
Organisation urbaine et architecturale
L’organisation urbaine dans le Mzab est amazighe dans son essence et musulmane dans sa doctrine. Pour mieux comprendre la portée du rite ibadhite, il faut explorer en profondeur dans le milieu socioculturel de ces populations amazighes ayant embrassé l’ibadhisme . L’architecture du Mzab, qui s’intègre dans un environnement spécifique et répond à des besoins stricts, se caractérise par la simplicité. C’est pourquoi il y subsiste des pratiques hostiles au luxe et aux comportements ostentatoires. Partout dans les cités du Mzab, une des grandes énergies de la communauté a été le long des siècles mobilisée pour arriver à ériger sur des tertres les actuels sept igherman en mettant préalablement un savoir-faire déjà consolidé durant l’âge d’or de Tahert, un savoir-faire bien appris et repris, bien revalorisé et maîtrisé par les At Mẓab. Il est aussi utile de préciser que le Mzab forme par ailleurs la continuité d’Isedraten (Sedrata) éphémère qui a été ensevelie sous la mer des sables. La fondation des sept cités actuelles (Iγerman, sing. d’Aγerm) s'était étalée sur une période de presque sept siècles et ce, avec la fondation de la dernière cité de Bergan vers la fin du dix-septième siècle. Ces cités se distinguent par leur architecture spécifique et une organisation de l'espace qui s'articule autour du sacré et du profane (mosquée et cimetière, habitations et marché), un dedans et un dehors qui caractérisent aussi bien la demeure familiale que la cité. Le paysage du Mzab offre un contraste coloré, entre l’ocre rose des monticules, le vert des verdoyantes oasis, le bleu vif du ciel et le bleu pastel des cités dont les maisons sont étagées les unes au-dessus des autres.
L’intérieur d’une maison montrant Ammas N Tiddar (patio), Tisefri (séjour), Tisunan (escaliers) et Innayen (cuisine traditionnelle)
L’implantation de l’Aγerm se fait sur un tertre dégagé afin de répondre aux quatre principes primordiaux :
1. Protéger la cité de toute incursion et/ou attaque extérieure en mettant à profit les accidents de terrains qui entourent l’aγerm.
2. Protéger et dégager les terres cultivables.
3. Mettre à l’abri les habitations et les activités urbaines du ksar de tout risque d’inondation.
4. Avoir la meilleure protection contre les rigueurs climatiques.
L’implantation de l’Aγerm avec la palmeraie forme le noyau-socle de la vie humaine qui fait partie d’une étendue géographique. Les espaces vitaux desquels est tributaire la population sédentaire sont comme suit :
1. Aγerm (cité fortifiée) : enclos habité et assurant la vie familiale et sociale.
2. Tijemmiwin (Palmeraies) : espaces de subsistance et de fraicheur.
3. Tinḍal (Cimetières) : espace des morts.
Chaque aγerm s’organise suivant trois espaces qui sont les éléments de structuration, avec un réseau de parcours (rue, ruelle et impasse) :
1. Centre spirituel sacré, la mosquée (tamesjida).
2. Domaine d’habitation intime (tiddar).
3. Centre public, masculin et profane, le marché (souk).
Le site d’implantation de l’Aγerm répond à des besoins, et les diverses données ne favorisèrent que l’idée d’un isolement recherché et sécuritaire et ce, dans le contexte d’une vie oasienne opposant l’intérieur sécurisant et connu de l’extérieur hostile et inconnu. Par conséquent, la société du Mzab était contrainte de subvenir strictement à ses besoins substantiels les plus vitaux que de ses palmeraies créées de toutes pièces dans le désert. Par ailleurs, l'ibadhisme et tamazight comme langue et culture constituent la double cohésion qui fait qu'il est difficile de dissocier un umẓab (mozabite) de l'ibadhisme.